17.2. Les poursuites dans le contexte de l’aide médicale à mourir en situation de fin de vieLa Loi concernant les soins de fin de vie (chapitre S-32.0001), adoptée par l’Assemblée nationale le 5 juin 2014 et en vigueur au 10 décembre 2015, a «pour but d’assurer aux personnes en fin de vie des soins respectueux de leur dignité et de leur autonomie» et «reconnaît la primauté des volontés relatives aux soins exprimées clairement et librement par une personne». Cette loi encadre notamment l’aide médicale à mourir à l’égard des personnes en situation de fin de vie qui sont atteintes d’une maladie grave et incurable se caractérisant par un déclin avancé et irréversible de leurs capacités. À cette fin, l’aide médicale à mourir est définie comme un soin consistant «en l’administration de médicaments ou de substances par un médecin à une personne en fin de vie, à la demande de celle-ci, dans le but de soulager ses souffrances en entraînant son décès». Ainsi, le régime instauré par la Loi vise notamment à s’assurer que l’aide médicale à mourir est étroitement circonscrite afin de protéger les personnes vulnérables de toute coercition ou d’incitation de la part d’autrui qui pourraient les amener à acquiescer à la mort sans un contentement libre et éclairé.
L’adoption de cette loi fait suite aux travaux menés par la Commission spéciale sur la question de mourir dans la dignité et aux vastes consultations réalisées, aux termes desquelles les points de vue représentatifs de tous les horizons ont été recueillis. Elle traduit le large consensus au sein de la société québécoise vers un plus grand respect de l’autonomie et de la dignité humaine, soit la faculté de la personne de choisir, en fonction de ses propres croyances, ce qu’elle estime être approprié pour elle-même en fin de vie, dans les cas où la vie a effectivement perdu son sens pour elle.
Depuis l’adoption de la loi québécoise, la Cour suprême du Canada a défini l’aide médicale à mourir comme désignant « le fait, pour un médecin, de fournir ou d’administrer un médicament qui provoque intentionnellement le décès du patient à la demande de ce dernier» (Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331). À cette occasion, elle a conclu que les dispositions du Code criminel (c. L.R.C. 1985, c. C-46) prohibant l’aide médicale à mourir ont pour objet d’empêcher que les personnes vulnérables soient incitées à s’enlever la vie dans un moment de faiblesse. La Cour a jugé ces dispositions invalides puisqu’elles contreviennent de façon injustifiée, en raison de leur portée excessive, à l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Toutefois, la Cour a suspendu, pour une période de 12 mois, cette déclaration d’invalidité.
D’une part, il est dans l’intérêt public d’assurer la protection des personnes vulnérables, c’est-à-dire celles qui ne sont pas en mesure, pour quelque raison que ce soit, d’exprimer un choix libre, éclairé et conscient à l’égard de la prestation de soins de fin de vie. D’autre part, il est aussi dans l’intérêt public de veiller à ce que l’application du Code criminel ne compromette la considération de la population à l’égard de l’administration de la justice criminelle, compte tenu du large consensus qui se dégage dans la société québécoise au sujet de l’aide médicale à mourir, en fin de vie.
En conséquence, au regard de ce qui précède, lors de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, le poursuivant devra prendre en considération l’objet des dispositions du Code criminel prohibant l’aide médicale à mourir, tel que défini par la Cour suprême, lequel consiste uniquement à protéger les personnes vulnérables. Ce faisant, il devra notamment tenir compte des facteurs suivants au moment d’apprécier s’il est dans l’intérêt public d’intenter une poursuite criminelle ou de mettre fin à une poursuite privée (nolle prosequi) à la lumière des circonstances révélées par l’analyse de toute la preuve pertinente dans chaque dossier:
— Le fait que la personne ayant recours à l’aide médicale à mourir soit majeure;
— Son aptitude à exprimer un consentement libre et éclairé;
— L’expression réitérée de ce consentement;
— Les démarches réalisées par les médecins visant à s’assurer de la validité du consentement exprimé;
— L’absence d’influence exercée par des tiers dans le processus.
Advenant qu’un dossier concernant un décès survenu dans le contexte de l’aide médicale à mourir soit porté à son attention, que ce soit par les autorités policières ou en raison d’une poursuite privée, la directrice des poursuites criminelles et pénales devra mettre en place le processus qu’elle estime approprié pour s’assurer que les considérations énoncées dans la présente orientation, y compris notamment le respect des exigences prévues à la Loi concernant les soins de fin de vie, seront prises en compte dans l’exercice du pouvoir discrétionnaire du poursuivant.